Gabriel Bishop | “Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y a aussi de l'à-venir dans le pardon.”

« Tout dépend de ce que vous entendez pas enfance… Parlons-nous des dix premières années de ma vie, ou d’un peu plus ? Dans le doute, je passerai sous silence tout souvenir ayant un rapport de près ou de loin à Reagan. Ça nous changera de d’habitude (rire). Mon meilleur souvenir d’enfance est sans doute le jour de mon huitième anniversaire. Mon père m’avait emmené à mon premier match de baseball, durant lequel j’avais eut le droit à une balle dédicacée par les soins de mon joueur préféré. C’était mon voisin dans les tribunes, un cinquantenaire à la barbe poivre et sel, qui l’avait réceptionné et qui, dans sa grande bonté, avait décidé de me l’offrir. Comme ça.
Lorsque nous étions retournés chez nous, dans notre jolie petite maisonnette en périphérie proche de New-York, ma mère avait eut le temps de préparer deux surprises à mon attention : la première était un succulent gâteau, goût chocolat-framboise, qu’elle avait commandé dans la pâtisserie où nous nous rendions toujours pour les grandes occasions ; la seconde était une espèce de bicyclette à moteur, pour gamins, qu’elle avait réussit à emballer dans une tonne de papier cadeau malgré toutes les difficultés que cela imposait.

Mon pire souvenir d’enfance, pour être plus concis sur la question, est sans doute le jour où je me suis bagarré avec ami et voisin de mon quartier. Sous prétexte que je n’avais pas voulu lui céder les timbres rares que j’avais dans ma collection et sur lesquels il lorgnait depuis plusieurs semaines déjà. Je me rappelle de la scène comme si elle s’était déroulée hier, nous nous étions querellez comme des chiffonniers, à coup de pieds et en beuglant comme des porcs conscients d’être menés à l’abattoir. Les parents de cet idiot fini avaient été obligés de nous séparer et n’ont eut d’autre choix que d’appeler ma mère – mon père était trop occupé. Le regard qu’elle m’a renvoyé quand elle a passé leur porte d’entrée restera à jamais gravé dans ma mémoire. Au final, j’avais écopé d’un bras cassé, d’une dent amochée et de quelques poignées de cheveux arrachés. Sans compter mon ego qui en avait prit un sacré coup, évidemment. Je ne lui avait plus jamais reparlé avant de recroiser son chemin à l’école de police. Depuis, on a eut l’occasion d’épancher nos désaccords et nos rancœurs autour de quelques bières. On est restés bons amis après ça et il m’a même fait l’affront de me choisir comme parrain a la naissance de sa petite princesse… Mon second fils aurait eut le même âge qu’elle cette année, si… Enfin. Vous savez. »


«  Je n’ai jamais été particulièrement studieux, exception faite peut-être du temps que j’ai passé à l’école de police. En fait, je me suis toujours débrouillé pour être exactement dans la moyenne. Pour ne pas faire de vague, dans le bon sens du terme comme dans le mauvais. Ça a changé quand j’ai fraternisé avec Reagan. Soucieux de réussir à l’impressionner, tout du moins à me montrer digne de me tenir à ses côtés, il m’est arrivé de redoubler d’efforts – à de nombreuses reprises d’ailleurs – afin d’obtenir de bonnes notes. En vérité, j’aimais bien ces moments qu’on passait à réviser ensembles, à s’entraider. Même si Reagan était indéniablement plus studieux que moi, c’est un fait. J'ai une mémoire visuelle et de toute manière j'apprends plus vide en pratiquant. Tout ce qui relève du ressort manuel j'en fais mon affaire ; tandis que tout ce qui nécessitait un surmenage intellectuel je le lui déléguais volontiers. C'est comme ça qu'on fonctionnaient, c'est tout. »


« Sans encombre je dirais. A partir de mes seize-ans je filais un coup de main dans un cinéma de quartier à New-York. Ça m’a permit de mettre un peu d’argent de poche de côté et ça m’a apprit l’importance du travail, pour mériter son salaire. Un peu de discipline mais surtout c’était une merveilleuse opportunité pour rencontrer du monde et pour me faire un tas d’amis. Le vendredi soir, quand je n’étais pas de service, on sortais tous ensembles au restaurant où on avais pris l’habitude de zoner parce qu’une cousine à l’un d’entre nous -plus âgée et fort jolie- bossait là-bas. Avec du recul, cette époque me manque parfois. On avais beaucoup moins de questions à se poser, on se contentait de vivre l’instant présent, tout simplement. Lorsqu'il a fallut que je déménage avec mes parents, l'année d'après, j'ai vraiment eu du mal à encaisser la situation. Mais bon, à cet âge là, on s'habitue à tout il parait. »


« Ne l’ais-je pas déjà assez fait ? (rire). Et bien, pour tout vous dire, Reagan a été mon premier amour. Mon premier baiser, mon premier tout en vérité. Je l’ai rencontré peu de temps après mon déménagement. Nous nous sommes rencontrés sur les bancs de l’école alors que nous avions tous les deux 17 ans. Le courant est très vite passé entre nous. J’aimais son côté calme qui réussissait à m’apaiser avec une facilité déconcertante. De connaissances, nous sommes devenus amis, puis meilleurs amis. Avant qu’il ne finisse par déposer ses lèvres contre les miennes au détour d’une soirée durant laquelle l’atmosphère, électrique et chargée de nos hormones d’adollescents en ébullitions, s’y prêtait particulièrement bien j’imagine. Contre toute attente cette première expérience m’a tant plu ; a réveillé au fond de mon estomac une telle décharge d’adrénaline ; que j’ai décidé de réitérer l’expérience tout de suite. Plusieurs fois. Notre relation est restée ambiguë quelques jours avant qu’on accepte d’un commun accord de poser les bons termes dessus. On a fait de notre mieux pour la préserver des regards des autres, par pudeur mais aussi parce que nous n’avions pas envie de partager ça avec quiconque d’autre que l’autre. C'était doux, chaud, sulfureux et même piquants par moments. Malgré la peur du jugement. C’était comme si nous étions parvenus à ajouter la clé, le petit plus, qui manquait jusqu’ici à notre relation déjà fusionnelle à s’en damner. Plus qu’un meilleur ami, plus qu’un frère, qu’un amoureux ou que n’importe quoi d’autre… Aucun mot ne suffirait pour l’expliquer ; Reagan est comme l’élongation de mon être. Il est la partie lumineuse qui m’a toujours poussé à faire des efforts, à donner le meilleur de moi-même, à être une meilleure version de ce que je pouvais être. Je l’aime, tout simplement. Assez pour lui faire la coure quelques années plus tard en lui demandant sa main. L’adoption de notre premier enfant tombait tellement sous le sens qu’on n’a pas vraiment hésité. Pour le deuxième, on a voulu faire les choses un peu mieux. On voulais avoir une part de « nous » dans sa genèse. Et… Excusez-moi, mais reparler de lui, et de tout ça...Je peux pas. On va s’arrêter là. »


« Devoir gérer à la fois avec le regard et le jugement des autres à mon encontre ; puis apprendre à ne plus seulement me laisser porter mais à me montrer davantage proactif et solide afin de soutenir mon entourage. Ça a vraiment été le plus compliqué pour moi, aux prémices de ma vie d’adulte. »


«  J’ai toujours été très fusionnel avec mes deux parents, ce qui n’empêchait pas mon père de se montrer dur avec moi sous prétexte qu’il fallait bien ça pour me garder sur le droit chemin. Encore aujourd’hui, je leur suis profondément reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour moi ; pour m’avoir accepté tel que je suis et aussi pour avoir accepté que Reagan rentre dans ma vie jusqu’à y prendre la place qui lui revenait de droit. J’ai essayé de me montrer aussi digne avec mes enfants que l’avaient été mes parents à mon égard ; mais avec le recul je ne suis pas certain d’avoir réussi à y parvenir. Je regrette tellement de chose, et en même temps je sais que vivre dans le passé ne me sera bénéfique d’aucune manière… C’est comme ça. J’espère quand même avoir pu être un modèle digne de ce nom pour eux. Quant à mon mari, que voulez-vous que je vous dise..je l’aime..et je ne suis pas résolu à tourner la page aussi facilement. Je l’aime et c’est pour cette raison que je lui en tient tant rigueur... Je nourris tant de ressentiments à son égard, et en même temps je peux comprendre qu’il en soit venu à juste nous quitter. Comme ça. Sans explications. C’était dur pour lui. J’aurais simplement aimé m'avérer être un meilleur soutient, pour qu’il ne ressente pas l’envie de s’éloigner. Mais je ne me ment pas pour autant, bien-sûr que je suis plein de sel à son propos. Je lui en veux ; et je l’aime. C’est comme ça, on y peut rien. Reagan reste une belle personne, et je n’arrive de toute façon pas à accepter la situation sans broncher.  J’ai encore espoir qu’un « nous » subsiste entre nous malgré tout. »


« La première fois, j'ai plié bagage parce que j’étais un ado obligé de suivre mon père dans sa mutation. La deuxième fois, nous avons fais le choix de partir avec Reagan dans l’optique de poursuivre nos études dans une école de police réputée. Nous nous offrions une meilleure opportunité pour nous, mais aussi pour le foyer que nous désirions fonder ensembles à l’époque. La troisième fois, ai-je vraiment eu le choix ? Reagan a disparu du jour au lendemain, je me doutais bien qu’il voudrais retourner vers les siens et dans un endroit qui lui était familier et qui serait propice à lui apporter du réconfort. Je suis simplement déçu que cet endroit n’ait pas été « notre » chez nous. Mais c’est comme ça… Alors, du reste, je refuse de laisser la situation pourrir. Je préfère prendre la route pour le rejoindre, et pour qu’on puisse enfin s’expliquer. Parce que c’est comme ça que doit fonctionner un couple sain et équilibré, n’est-ce-pas ? Quand il y a des difficultés, on en parle, on s’écoute et on avise des actions à mettre en place pour surmonter les problèmes, ensembles. Ne plus penser en « je » mais en « nous ». Comment a-t-il pu l’oublier ? Alors que jusqu’à présent c’était lui qui se plaisait à me le rappeler. Est-ce une façon pour l’univers de me mettre à l’épreuve ? Reagan attend t-il de moi que je fasse le premier pas dans sa direction ? Cela fait déjà plusieurs -trop- de mois que la situation est ainsi ; je refuse de l’accepter. Même si notre prochaine rencontre doit se passer dans les cris, les larmes ou les coups, je me fais la promesse de ne pas m’y soustraire. Par amour pour lui, par égard pour notre fils. Je veux être présent pour eux. Alors, coûte que coûte, je compte bien m’accrocher à la moindre lueur qu’il nous reste. »


« J’ai un vrai problème avec les mathématiques. Ne me parlez pas de calculs mentaux, en plus d’être d’une lenteur à achever un homme, je suis obligé de passer par des sous-calculs compliqués et imagés pour réussir à m’en sortir à peu près bien. Au début, c’était un complexe, et avec le temps ça a prit une telle ampleur que maintenant dès qu’il est question de calcul je fais fasse à un vrai blocage. J’arrive à rien, le syndrome de la feuille blanche. La peur et la honte me font perdre tous mes moyens. J’évite d’en parler, mais je crois que ça fera toujours partie de moi. »


« Retrouver Reagan. »