Brant Burberry | A Fresh New Start

Je pose mon verre de vin blanc après un long soupire. C'était le genre de question que je n'aimais pas car elle me faisait replonger dans une période de ma vie que je préférais oublier.
- Le meilleur souvenir de mon enfance est celui d'un weekend chez un copain d'enfance. Ses parents étaient accueillants et bienveillants, comme je croyais que les miens étaient. Je me souviendrai toujours de ce moment car c'est là que j'ai commencé à jouer au piano avec sa maman, celle qui allait devenir ma professeure de musique et de chant.
Puis mon regard se baissa un bref instant et changea avant de se planter dans celui de mon interviewer.
- Est-ce qu'on est vraiment obligé de...
Pas besoin de terminer ma phrase, il comprenait très bien où je voulais en venir.
- Oui Monsieur Burberry.
-Très bien, soupirais-je
Je repris une gorgée de ce poison et me mis à tapoter du pied et de la jambe nerveusement avant de m'arrêter presque soudainement.
- La plus mauvaise période de ma vie est un suivi de calvaire qui a commencé lors de mes cinq ans et qui s'est terminé que dernièrement, à mes trente-cinq ans. Ca a débuté par les attouchements et les viols du prêtre de ma paroisse à Nashville qui ont duré environ cinq ans, le pire dans l'histoire, c'est qu'il était mon oncle et que mon père était impliqué aussi. Puis ce fut au tour de ma mère de m'envoyer dans des camps de conversion à chaque vacances pour "pas que je sois une pédale, une tapette" car j'ai eu l'audace de lui dénoncer ce qu'ils me faisaient mais elle ne voulait pas me croire. Pour elle, je devais être malade et désirer ça, c'était impossible que son mari et le frère de ce dernier n'osassent me toucher. Pour leur faire plaisir, j'ai marié mon ex-femme. J'ai joué le mari parfait avec une famille parfaite jusqu'en 2021, année où j'ai tout fait exploser.
Mon ton était presque monocorde. Parler de cette période, c'était comme me replonger dans cette merde où m'avait lâché la vie trente-sept ans plus tôt. Le seul moyen de pouvoir l'évoquer, c'était de le cracher comme un rapport, sans émotion.

Ca faisait depuis mon arrivée à Garnet que j'avais arrêté de fumer mais je n'avais jamais eu autant envie d'une clope que maintenant. Cependant la prochaine question tomba.


Un petit sourire se dessina sur mes lèvres. La réponse allait être banale et courte parce qu'il n'y avait pas grand chose à dire. J'en étais arrivé là où j'étais parce que tout avait bien été pour moi au moins sur ce point là.
- J'étais l'élève facile que tout prof' aimerait avoir. Je bossais, je me taisais, j'apprenais et je me débrouillais bien. J'étais largué en maths, mais bon, on ne peut pas être bon partout, non ? J'ai jamais fait partie de ceux qui devaient faire la révolution ou se rebeller pour se sentir vivre ou attirer l'attention. Au contraire, j'aimais pas ça.
Mais tout à coup, un événement me revint en esprit.
- Par contre, l'injustice m'a fait sortir de mes gonds une seule fois, lorsqu'un professeur de musique a donné une meilleure note à une camarade au lycée parce qu'elle portait un joli décolleté et qu'elle avait la chance d'être une fille. Je me suis d'ailleurs pris les deux seules heures de retenues de ma vie à cause de ce queutard.
Si sur le moment je me souvenais avoir senti une colère et un sentiment d'injustice intense envers ce professeur, aujourd'hui, cela me fit presque rire et me retira la nervosité liée à la première question qui m'avait été posée.


Instinctivement, je me grattai le menton tout en remontant dans mes souvenirs. Vu que j'avais passé beaucoup de temps dans ces fichus camps, je n'avais pas eu la chance de pouvoir bosser dans des stations essences ou des restaurants l'été comme l'avaient fait pas mal de mes camarades pour avoir des ronds.
- Ca a été mon stage à la police de Nashville, après mon école de police. Je suis tombé sur un vieil agent plutôt sympa et surtout avec de l'expérience. Barry qu'il s'appelait. D'ailleurs, on a toujours contact aujourd'hui ! Il fait un peu office de figure paternel pour moi vu que je n'ai plus contact avec mon géniteur et que Barry n'a pas pu avoir d'enfant avec sa femme.
Là c'était des souvenirs déjà plus heureux qui me revenaient. C'était lui qui m'avait donné le goût pour les bons donuts et les burgers maisons. Je me souvenais encore l'entendre m'insulter et me traiter de tous les noms lorsque je lui avais proposé un MacDonald vite fait pour une pause midi où on avait pas de temps. Le burger était une institution et il ne fallait pas y déroger.
- Ca s'est d'ailleurs tellement bien passé que je suis resté et que j'ai passé toute ma vie là-bas jusqu'à il y a un ans, en 2022.


Un petit pouffement sortit de ma bouche à cette question. Je terminais ce verre de blanc cul sec et soupirais. C'était vraiment une mise à nue ce putain d'entretien.
- Mon premier crush, ça a été un gars que j'avais rencontré lors de ces foutus camps de conversion. Enfin, je ne l'ai compris que dernièrement, depuis que j'ai accepté qui je suis réellement. Fallait dire que là-bas, on nous réprimait beaucoup donc j'évitais d'écouter ces sentiments ou ces signes dans mon corps. Inutile de vous dire que jamais rien ne s'est passé.
Puis je sortis l'alliance de mon ancien mariage que je portais toujours au cou. Comme un souvenir. C'était con peut-être mais pour le moment, je n'arrivais pas à m'en débarrasser. Ou je ne voulais pas ? Car même si cette union a été une prison, elle m'a offert les deux plus belles choses de ma vie : mes enfants. Et rien que pour cela, je respecterais à jamais leur mère.
- Et mes parents m'ont présenté la mère de mes enfants un soir lors d'un barbecue communautaire. Elle faisait partie du groupe de l'église et elle était jolie. Je crois bien que même si j'ai été manipulé, je suis tout de même tombé amoureux. Enfin, aujourd'hui, c'est difficile à dire. Mais je l'ai aimée et je l'aime toujours, juste autrement. Ce fut ma seule relation hétérosexuelle et la dernière.
Bordel, parler de pensées si intimes, ça ne me plaisait pas. Ca me rendait nerveux et surtout, ça me donnait l'envie de griller une clope. Je tentais tant bien que mal de me retenir mais ça devait se voir à mon comportement.
- On a été trop vite sûrement. Le mariage, les enfants... Et moi je n'étais pas prêt à tout ça. Mais est-ce qu'on est vraiment prêt à être parent un jour ? Je ne le sais pas. Tout ce que je peux confirmer, c'est que si c'était à refaire, je le ferai juste pour mes enfants.


Toutes ces questions qu'il me posait me mettaient inconfortable mais c'était une obligation. L'envie de tabac se fit encore plus forte car je pouvais ici paraphraser ce que j'avais déjà répondu plus haut.
- Je dirais que j'ai eu toutes mes désillusions en tant que gamin. Répondis-je en le regardant dans les yeux, soupirant.
Je compris que ce n'était pas assez et qu'il en voulait plus car il laissa un silence s'installer.
- Me laisser entrainer dans un choix qui n'était pas réellement le mien. Construire une fausse vie pour plaire à la société, aux gens qui m'entouraient. Et après apprendre à devenir parent, un bon papa, pas comme celui que j'ai eu. Mais le plus dur, c'est sûrement apprivoiser et redécouvrir ce qu'on avait détruit de moi lors de ces camps de conversion et me poser des questions sur tout ce que j'avais fait. Voir qu'en fait, j'étais en mode "pilote automatique" et que je me laissais porter par la vie que les autres voulaient que j'aie et prendre la décision de tout envoyer bouler.


Je lâchais un petit sourire, c'était qu'il se répétait quand même pas mal. Avant de continuer, j'interpellais la serveuse pour commander un gin tonic et un grand verre d'eau. Il faisait soif et à force de parler, ma gorge devenait sèche.
- Pas besoin de revenir sur le sujet de mes géniteurs, je crois que c'est assez clair. Commençais-je tout en regardant mon interlocuteur dans les yeux qui acquiesça. J'ai revu Barry dernièrement, avec sa femme Elisabeth. Ils sont venus me visiter et voir ma maison à Garnet. Avec mon ex-femme, on s'écrit de temps en temps pour rester en contact et elle me donne des nouvelles sur ce qui se passe pour les enfants et organiser les différentes gardes vu qu'elle a également déménagé dans le Montana pour retourner auprès de sa famille après notre divorce.  Je ne sais pas si elle m'en veut d'être parti pour être qui je suis réellement. Je crois qu'une partie d'elle le comprend. Et mes gamins, je les vois un weekend sur deux mais ils ne savent pas encore que leur père est parti parce qu'il aime les mecs. Ils sont encore un peu jeune pour ça... Enfin, c'est ce que je me convaincs parce qu'au fond, j'ai peur plus que tout de leur réaction.


- Je crois que j'ai déjà répondu à cette question non ? J'étais marié, accroché à une vie que l'on avait construite pour moi. Commençais-je.
Le serveur me coupa dans mon élan et posa ma consommation sur la table avec le tiquet. Je payais directement, lui laissant un bon pourboire.
- Et pourquoi partir ?
- Parce que je ne pouvais pas accepter et affronter ce que j'étais là-bas, à Nashville. J'avais besoin de couper mes racines et de recommencer à zéro. J'ai pris un long moment à le comprendre. Et puis un jour, quelques semaines après le divorce, j'ai vu cette annonce de l'état. 100'000 balles pour avoir une deuxième chance, c'est plutôt une bonne offre. Alors je l'ai saisie et suis arrivé en mai 2023.


Je pris le verre qui était devant moi et en bus une bonne gorgée avant de le reposer devant moi.
- Je crois que tu en as eu assez non ? Ou tu veux que je répète ce que je viens de te dire, dis-je un peu agacé, ça faisait maintenant quelque fois que je paraphrasais mes réponses d'avant et même si j'étais patient, ça commençait à me tendre.
- Oui Monsieur Burberry, excusez-moi.


- Ah tiens, voilà une question qui change ! Dis-je en le regardant avec un air plus détendu. Mes plans... Terminer de rénover la maison, ce que je fais pendant mon temps libre et les weekends quand je n'ai pas les enfants. Pouvoir retrouver des racines ici et construire une nouvelle vie avec mes gamins. Trouver un homme avec qui faire un bout de chemin... Avoir une vie normale quoi. Avoir MA vie.