Emmett Jefferson | Tourner une page d'un livre pour en écrire un nouveau chapitre.

Mon pire et mon meilleur souvenir durant mon enfance sont en somme liés l'un à l'autre. Mes pires souvenirs sont encore mes cauchemars aujourd'hui. Naître au sein d'un couple aimant est une chance. Malheureusement, je n'ai pas eu cette chance et ma mère Lynn non plus. Elle était pourtant sûre d'avoir épousée un homme fort et aimant. Quelle ne fut pas sa surprise le lendemain de son mariage lorsqu'elle a eu à subir le premier coup. Une raison dérisoire, des oeufs trop cuits et la première baffe est tombée. Persuadée que l'arrivée d'un enfant pourrait le calmer, elle est donc restée. Et puis, il faut l'avouer, elle n'avait tout bonnement pas la force de caractère pour s'échapper. Mon arrivée eut l'effet totalement inverse. La moindre erreur, le moindre oubli ou encore l'absence de rapidité, faisait qu'elle se prenait des coups. Bien évidemment, lorsque j'étais bébé, je n'en étais pas véritable conscient. Et puis, en grandissant, les coups fut également pour moi. D'une victime, nous étions passés à deux. Jamais je n'aurais pensé que ce soit possible d'être aussi brutal et sans coeur. Et pourtant... Lorsque je pris conscience de la détresse de ma maman, j'ai décidé d'être la victime principale, voulant qu'elle puisse avoir une vie plus paisible. Voilà les pires moments de mon enfance. Le meilleur aurait pu être l'achat d'un jouet ou des vacances en famille. Mais non, je n'étais pas dans une famille classique. J'ai été totalement heureux lorsque mon bourreau prit la porte, prenant la poudre d'escampette en trouvant une autre femme à brutaliser. J'aurais pu tenter d'avertir la police pour qu'elle soit à l'abri. Mais je n'avais que dix ans. Dix années de souffrance qui trouver enfin le repos et la paix. Un soulagement profond et un monde nouveau pour ma mère et moi.


A l'école, j'ai toujours été un garçon à l'écoute, respectant les règles et travailleur. J'ai rapidement pris conscience que j'avais un besoin d'apprendre. Est-ce que je pensais que c'était ma porte de sortie pour ne plus supporter ce monstre ? Peut-être. En attendant, je bûchais à l'école comme à la maison, lorsqu'il me laissait tranquille. Je participais activement en cours, montrant que j'avais du potentiel. Et puis, apprendre était parfois d'une facilité déconcertante. A l'adolescent, j'avais pris conscience que j'avais une mémoire visuelle. C'était donc facile. Attention, ce n'était pas toujours si simple. Il m'arrivait de ressentir une certaine résistance face à certaines leçons. Après tout, c'était plutôt agréable. C'est jamais drôle d'avoir de la facilité. C'est en se confrontant à des situations pouvant poser problème que l'on apprend encore mieux. En tout cas, que ce soit au début de ma scolarité jusqu'à mes études supérieures, j'ai été calme et discipliné mais aussi déterminé à avancer et à donner le meilleur de moi-même.


Mon premier job, je l'ai décroché lorsque j'avais seize ans. Un petit boulot pour aider ma mère à joindre les deux bouts. J'ai été embauché pour faire le service dans un petit café non loin de la maison. La propriétaire était adorable avec moi et j'ai mis du coeur à l'ouvrage pour lui montrer qu'elle avait eu raison de me faire confiance en m'engageant. Je voulais me confronter au monde du travail, voir ce que cela faisait de pouvoir gagner ma vie. Je ne gardais pas tout, j'en donnais la moitié à ma maman. C'était normal pour moi de subvenir au besoin de la famille. L'entraide, c'était vraiment important pour moi. En parallèle de cette première expérience, j'aidais la soupe populaire du quartier. Aider les personnes dans le besoin était gratifiant. Je continue encore aujourd'hui. En tout cas, même si c'était parfois difficile, j'ai pris conscience du sens du travail et de l'importance que cela a dans la vie d'une personne.


Mon premier amour n'a pas été réciproque. Je suis tombé fou amoureux de mon meilleur ami lors de ma première année au collège. C'est à cet instant que j'ai pris conscience de mon homosexualité. Je n'ai rien dit, préférant garder notre amitié intact. Pourtant, j'ai pu me rendre compte que cela aurait pu être réciproque. Pourquoi ? Parce que Matthew avait les mêmes attirances que moi. Etant plus fort que moi, il a décidé de les assumer, se montrer en dehors de l'école avec un autre garçon. Il a subi les assauts de certains de nos camarades, un véritable déferlement de violence tant verbale que physique. Cette confrontation à l'homophobie m'avait terrorisé et même pétrifié. Je n'ai pas réussi à avoir les épaules assez solides pour prendre sa défense et rester à ses côtés. Non, je me suis effacé, préférant garder mes envies et mon amour pour lui enfouis au fin fond de mon coeur. J'ai tout refoulé pour être ce garçon normal aux yeux des autres. Matthew a fini par me tourner le dos, me trouvant lâche et ayant finalement changé d'établissement parce qu'il ne supportait plus toute cette violence. Depuis ce jour, je n'ai pas cessé de me détester.


Le plus difficile pour moi en devenant adulte a été de tirer définitivement une croix sur les véritables sentiments que je pouvais avoir et sur ma véritable personnalité. Mais en même temps, j'en ai fait le choix. Ma lâcheté et la peur de devoir vivre dans un combat permanent ont fait que j'ai fait le choix de me cacher et de terrer dans une vie qui ne me rend pas totalement heureux. Mais c'est comme ça. Peut-être est-ce dû à mon enfance et à tout ce que j'ai pu vivre durant cette période de ma vie. Etre adulte, c'est faire des choix et les assumer ensuite. C'est ce que j'ai fait, jusqu'à il y a de cela quelques mois. J'ai rongé mon frein, j'ai fait en sorte d'être un mari aimant et un père présent. Je pensais que ce serait suffisant. Mais non, j'ai finalement pris conscience qu'en refusant de me battre contre les intolérants de la société, j'avais mené un tout autre combat et celui-ci avait été bien plus éprouvant. J'avais besoin de paix, d'amour véritable et d'une vie que je choisis réellement. J'ai donc fait ce difficile choix. Sur un coup de tête, mais je l'ai fait quand même.


Je m'entends très bien avec Lynn ma mère et Robert, mon beau-père. Elle l'a rencontré quand j'ai eu 18 ans. Bien évidemment, j'ai d'abord été méfiant avec lui, tentant de voir s'il était un homme bon et capable de l'aimer comme elle le méritait. Après de longs mois, j'ai pu me faire une idée. A présent, je le considère comme un véritable père. Il aurait pu s'avouer vaincu et ne pas vouloir faire de moi son beau-fils. Il n'en fut rien. Il me voit comme le fils que je n'ai jamais eu et j'en suis fier. Aujourd'hui, ma famille est un petit cocon, je prends plaisir à leur rendre visite. Ils vivent à Missoula. Je vais donc les voir le plus souvent possible. Ils voient leur petite-fille régulièrement et la couvre d'amour. J'ai une soeur jumelle, Missy. Je l'aime d'un amour inconditionnel. C'est pour elle que j'ai pris les coups, j'ai tout fait pour la protéger. J'ai toujours cette peur que mon bourreau décide de revenir dans nos vies. Mais en même temps, il risquerait de passer sale quart d'heure. Il doit sûrement le savoir. Et puis, depuis tout ce temps, se rappelle-t-il encore de nous ?


Ma vie était une vise sans saveur, monotone et une vie que je m'étais imposé dans la peur de ne plus être accepté par personne. Si j'ai voulu partir, c'était pour ne pas avoir à subir le regard des personnes que j'aime. Voir leur déception, me dire qu'en apprenant ma véritable nature, ils seraient capables de me tourner le dos et de m'en vouloir était tout simplement insupportable. Pourtant, lors de cette vie, j'ai accompli des choses qui m'ont rendu heureux. Je suis devenu chirurgien, j'ai sauvé des vies. Devenir père m'a également conforté dans l'idée que j'avais fait les bons choix. Et puis finalement, l'angoisse de devenir un père violent, de ressembler à mon bourreau avait tout envoyer valser en mille morceaux. J'ai eu une vie, pas toujours heureuse. Ma femme, je l'ai aimé et je l'aime. Mais je me suis rendu compte que ce n'était pas un amour comme celui que l'on voit dans les films romantiques. Non, c'était différent. En venant à Garnet, j'espère une chose, pouvoir enfin vivre ma véritable vie.


Il y a un secret que je gardes et que personne ne connait. Durant mon mariage et c'est très certainement cet évènement qui a été le début de cette crise de la quarantaine avant l'heure, j'ai commis un faux pas. J'ai trahi ma femme, la trompant. Comment est-ce arrivé ? Une nuit de beuverie entre collègues dans un bar. Ce soir-là, j'ai veillé très tard, d'ailleurs, j'ai été le dernier homme de l'hôpital à quitter le bar. Et je l'ai quitté en compagnie d'un autre homme. Il m'avait proposé de prendre un dernier verre. Je l'ai suivi jusque chez lui et nous avons passé la nuit ensemble. Une nuit à la fois torride et magique. C'est à cet instant précis que j'ai pris conscience de tout le temps que j'avais perdu et de tout ce que je m'étais empêché de vivre. Je n'aurais pas dû me mettre de barrière. J'aurais dû me montrer fort et vivre de suite cette vie qui me semble à présent à ma portée. La tromperie, je déteste ça... Je m'en veux...


J'ai plusieurs projets en tête. Tout d'abord, aider l'ensemble de la communauté à remettre sur pieds cette ville qui ne manque pas de charme. J'ai également dans l'optique d'ouvrir un cabinet médical et à le faire prospérer. Une ville sans médecin n'est pas une véritable ville, c'est ce que je pense. Pour l'instant, mes patients se rendent chez moi, je me suis aménagé un bureau. Je fais également des visites à domicile. Je compte par la suite acquérir un cabinet pour pouvoir avoir plus de moyens. J'ai aussi envie de construire ma véritable vie et de rencontrer l'amour. C'est une envie mais également quelque chose qui me fait peur. Mais en même temps, j'ai eu peur toute ma vie. Alors je me dis qu'il est surtout bon de la combattre et de me mettre un coup de pieds au derrière...