Bruno Rubio | Transmettre pour mieux renaître.

Mon meilleur souvenir durant mon enfance ? Les moments partagés avec mes grands-parents, notamment mes deux grands-mères. Elles m'ont tout appris. C'est elle qui m'ont permis d'être un si bon cuisinier et de pouvoir épater mes partenaires de vie. J'ai passé du temps devant les fourneaux. C'est un peu leur rendre hommage. Et puis, je les garde bien au chaud dans mon coeur. Ces moments de partage me manque. Mais je sais que de là où elles sont, elles seraient tout simplement fières de moi. Enfin, je l'espère...

Mon pire souvenir, lorsque mon père m'a surpris dans ma chambre en train de jouer avec une poupée. Il me l'a de suite arraché des mains, n'acceptant pas qu'un petit garçon puisse jouer à la poupée. Depuis ce jour, il n'a eu de cesse de surveiller mes agissements et de faire en sorte que je sois un homme, un pur, un dur, un macho qui garde sa place de mâle dominant. Quelle aurait dû être sa déception s'il n'avait pas commis l'acte irréparable nous obligeant à quitter le domicile familiale lorsque j'ai eu dix ans. Il m'a brûlé le bras avec un fer à repasser parce qu'il m'a surpris en train de me maquiller... Une offense pour lui. Ma mère ne l'a pas accepté. Elle a fait nos valises, nous sommes partis et elle a demandé le divorce.


J'étais un élève discret mais excellent. Je ne cherchais pas forcément à me montrer. Non, j'étais bien au fond de la classe à écouter attentivement l'enseignant et à faire ce qu'on me demandait. Il a fallu attendre l'université puis l'université pour que j'ose me montrer et surtout que je démontre à mes professeurs que j'en avais dans le ciboulot et que j'aimais apprendre et que secrètement, je rêvais d'être à leur place.


Mon premier job étudiant c'est très bien passé. J'ai répondu à une annonce pour un bar qui recherchait un serveur. Je n'avais pas fait attention, mais je me suis rapidement rendu compte qu'il s'agissait d'un bar où des transformistes se produisaient. Ouvert d'esprit, je n'y ai vu aucun malaise bien au contraire. Je me suis donné à deux cents pour cent pour montrer au patron que j'étais motivé. Je suis ensuite passé derrière le bar. J'ai fait mes preuves et j'ai gagné la confiance du patron. Ce premier job a été une très bonne expérience.


Mon premier amour fut mon meilleur ami. Une relation ambigüe, des défis, des envies de découvrir la vie à deux. Il nous est arrivé très souvent de dépasser la frontière de l'amitié avec Raul. C'est avec lui que j'ai eu mon premier baiser, mes premiers émois et ma première fois. Un rebondissement dans la vie d'un adolescent. Je me suis pas mal questionné à cet époque de ma vie. Est-ce que j'étais homosexuel ? Pourtant, j'étais également attiré par les courbes généreuses des femmes. J'ai fini par mettre tout ça de côté, vivant mon amour pour Raul à fond. Et puis finalement, les sentiments se sont estompés. Nous sommes encore amis, c'est mon confident, mon frère de coeur. Dis comme ça, ça peut sonner un peu cringe, mais non. On s'aime, mais pas comme on le pensait...


Devoir affronter la vie sans une figure paternelle. Je n'ai pas eu de modèle. Mais en même temps, dois-je vraiment m'en plaindre ? Vu le géniteur que j'ai eu, je suis bien content de ne pas avoir pris son chemin. Oh ça oui ! Mais il faut avouer que c'est tout de même plus simple quand on prend exemple sur quelqu'un. C'est très certainement pour cette raison que je me suis attaché à mon professeur de philosophie à l'université et qu'il est devenu mon mentor, un père spirituel.


Je ne parle plus à mon père depuis mes dix ans. Cet épisode traumatisant a été la goutte d'eau qui a fait exploser le vase tant de mon côté que du côté de ma mère. Je ne veux plus rien avoir à faire à lui. Pour preuve, j'ai pris la décision à ma majorité de prendre le nom de famille de ma mère. Je suis d'ailleurs très proche d'elle. Pour preuve, elle m'a suivi lorsque j'ai pris la décision de quitter l'Espagne il y a de cela maintenant dix ans. Je ne lui en serais jamais assez reconnaissant. Bien évidemment, si elle avait pris la décision de rester, je ne lui en aurais pas voulu. Mais franchement, partir à vingt ans et avoir sa mère sur qui s'appuyer quand on doute, ça n'a pas de prix. Je l'aime et je ferai tout pour elle.


Je mentirais si elle ne me convenait pas au départ. Arriver à New York, étudier dans une université pour me mettre à niveau en anglais et en philosophie pour pouvoir enseigner avait été un rêve. Et puis, on parle quand même de la Grosse Pomme. Après trois années sur les bancs de la fac', j'avais pu enfiler le costume d'enseignant. Un rêve de gosse devenu réalité. J'ai été affecté dans un lycée public de New York. Ma première année ne fut pas toute rose. Il faut dire que la philosophie n'est pas toujours simple et surtout, cela n'intéresse pas grand monde. Mais étant un passionné, j'ai pu leur transmettre mon amour des mots et des raisonnements. Je me suis montré tantôt cool tantôt intransigeant. C'est lors d'une réunion parent-professeur que je l'ai rencontré. Cet homme, ce parent d'élève. Je suis tombé de suite sous le charme. J'avais vingt-trois ans, il en avait trente-trois. Finalement, une histoire a débuté. Je n'aurais jamais imaginé finir dans le même lit que le père de deux de mes élèves. Et pourtant, c'était le cas. Une relation secrète, il ne fallait pas qu'ils l'apprennent et mes supérieurs non plus. Pourtant, lorsque j'étais dans ses bras, j'étais heureux. Et finalement, tout s'est terminé à cause d'une rumeur... Je l'aime encore, j'en suis fou. J'ai le coeur meurtri et le moral en berne...


Personne ne le sait, mais durant mes études à l'université, j'ai eu une relation avec ma professeure de rhétorique appliquée. Comment c'est arrivé, je ne m'en souviens pas très bien. Un évènement caritatif organisé par l'université, quelques verres, peut-être trop. Et je me suis réveillé dans son lit... Elle me plaisait, je ne pourrais le nier, mais jamais je n'aurais osé quoi que ce soit. Nous avons convenu qu'il était bon de ne rien dire. Une nuit, une seule nuit. J'en ai de vagues souvenirs.


Garnet m'est apparu comme une porte de sortie, celle de quitter la ville, le stress et tout ce qui me rappelait Swan. Je voulais changer de vie. Le programme de réhabilitation d'une ville fantôme tombait donc à pic. J'ai donc rapidement postuler pour enseigner au lycée de Missoula. Un entretien couronné de succès. Me voilà donc avec mes valises et prêt à rénover la ville. Je suis un être de lettres et d'esprit mais je sais aussi me servir de mes mains. J'y vois là donc le défi de me retrousser les manches pour pouvoir m'accomplir autrement que part l'enseignement et la transmission. En débarquant à Garnet, ce que je ne sais pas, c'est qu'il est ici... Que dire ? Que faire ? Le destin nous le dira...