Andrew Vance | and I would fucking hate me too —

Indéniablement, mon meilleur souvenir d'enfance se passe en Floride. Mes parents nous ont emmenés en road trip à Orlando depuis le Tennessee, ma sœur et moi, pour faire quelques uns des grands parcs d'attraction pendant toute une semaine. Comme toute sortie en famille, l'ambiance n'était pas toujours au beau fixe, mais c'était comme traverser une autre réalité pendant un temps. J'avais, quoi, dix ans ? Je me rappelle surtout de Sea World, j'en ai fait une fixette sur les animaux marins pendant de très longs mois et c'est une passion que j'ai conservé envers et contre tout. Il n'y a pas si longtemps encore, je suis allé faire de la plongée à Hawaii et je n'attends que d'y retourner.
Mon pire souvenir ne fait pas de doute non plus. Le divorce de mes parents a été... très brouillon. J'avais treize ans. Les souvenirs que j'en ai sont très vivaces, je les revis tels quels à travers mes propres relations. Les cris, les doutes, les accusations, l'impression de découvrir de nouvelles personnes parmi mes proches, le sentiment de trahison. C'est encore compliqué, ça a brisé beaucoup de choses dans nos relations familiales. Le temps a apaisé les mœurs mais la confiance n'est jamais vraiment revenue. J'aime autant ne pas en parler davantage.


J'étais à la fois assidu et partisan du moindre effort. Un carnet de présence quasi impeccable, et des notes frôlant la moyenne par-dessus ou dessous. En somme, un élève classique, oubliable. Je n'étais pas très passionné et j'avais constamment envie de lâcher prise, mais je ne voulais pas de problème avec les adultes de mon entourage. Garder cette constance permettait de ne pas faire grimper leurs attentes, en quelque sorte, de préserver ma paix. J'imagine que c'est ce côté "people pleaser" qui m'a mené au service clientèle – lequel m'a très vite guéri de cette tendance. On ne peut pas vivre indéfiniment dans l'ombre des attentes d'autrui, cette fois c'est mon tour. A vrai dire, je ne sais pas trop quoi en penser, on dirait que je compense, je ne suis jamais pleinement satisfait. Une chose est certaine, je ressens toujours la même culpabilité devant l'échec et je le supporte très mal.


J'étais indubitablement sous-qualifié, et trop inexpérimenté pour repérer toutes les saloperies qui peuvent traîner dans un contrat de travail. Une expérience de larbin, sous-payée, sans protection sociale. Tout bien considéré, c'était une expérience très classique pour un premier pas dans le monde de l'emploi, j'aurais pu tomber bien pire ! Je crois qu'on doit tous passer par là pour apprendre à se faire respecter. Bien sûr, le plus avantageux reste de grimper les échelons jusqu'à ne plus avoir personne au dessus de soi. Je ne porte pas ma hiérarchie dans mon cœur, je sais que je ferais beaucoup mieux. Vous verrez. You have no idea how high I can fly.


J'aurais bien du mal à en désigner un premier ; des coups de cœur, j'en ai depuis tout môme et je ne me rappelle pas des plus lointains. Je peux parler en revanche de mon premier "couple" : j'avais quinze ans et il a duré quatre mois. On était tous les deux bêtes, jaloux, inexpérimentés, avec des attentes hollywoodiennes et des disputes plus puériles les unes que les autres. On a arrêté quand on en a eu marre et ainsi de suite. Pour être franc, aucune de mes relations n'a été très mémorable, j'avais de la chance quand mes sentiments étaient réciproques. Beaucoup ont été 'on' et 'off', pauses, ruptures, réconciliations, un manège envahissant qui affecte nettement ma qualité de vie par ailleurs.


Avoir le choix. Toute liberté dans mon enfance était conditionnée par trop de variables, il y avait généralement une seule "bonne" réponse pour éviter le conflit. Quand je suis devenu un homme, j'avais cet état d'esprit de performance mais aucune notion du cadre dans lequel l'appliquer. Et tout à coup, alors que mon champ des possibles s'élargissait, la moindre décision semblait porter le poids de ma vie entière. Encore aujourd'hui, j'ai des difficultés à me confronter au doute. Alors quand je me fixe un objectif, j'essaye de le suivre jusqu'au bout sans trop me poser de question. C'est plus facile comme ça, au moins sur le court terme. Je le paierai sans doute un jour.


Froide, inconfortable, pleine de rancœur. Je vois mes parents une fois par an pendant les fêtes. J'ai tenté une année de laisser ma chaise vide et j'ai été traité d'ingrat pendant des semaines par messages vocaux interposés. Chaque visite est le lieu d'un interrogatoire et d'un bilan de performance dont je me passerais volontiers. Ma belle-mère a l'air décidée de se faire apprécier de moi par tous les moyens et je me vois contraint d'être d'une hypocrisie crasse si je ne veux pas que mon père me fasse une colère. Ma mère se comporte de façon odieuse mais s'obstine quand même à vouloir réunir toute la famille chez elle, je vous passe les détails. Bien sûr, ils sont moins désagréables quand je leur parle indépendamment les uns des autres, mais c'est plus fort que moi. Ils ont toujours l'air de chercher le conflit, et j'ai beau avoir un contrôle strict de moi-même, ils me font perdre patience comme jamais. Ma sœur aînée June est de loin la personne avec qui je m'entends le mieux, on prend des nouvelles tous les quinze jours, mais il reste toujours une distance infranchissable entre nous. On a des vies et des valeurs trop différentes. Mais s'il lui fallait une greffe de rein, je lui ferais un bon prix...


Je mène une vie que Garnet ne saurait contenir. Luxueuse, moderne, confortable. Je pouvais suivre Netflix depuis l'écran de mon réfrigérateur et commander un kir à la table basse du salon. Tout va me manquer: les déjeuners en terrasse, la piscine olympique, la Tesla silencieuse sur l'asphalte lisse du quartier des affaires de Seattle... La retraite en campagne ne sied pas vraiment à mon profil, et je mentirais en disant que je n'ai pas d'a priori peu flatteurs sur les manutentionnaires de ce projet de reconstruction. Mais vous savez ce que j'y vois ? Une opportunité, du profit, un challenge comme on en rencontre rarement. Je n'ai pas vraiment l'intention de m'installer à Garnet définitivement, mais je veux apprendre à la connaître et la dompter. Quel projet plus avantageux pour une compagnie d'assurance immobilière qu'une ville fantôme où les bâtiments poussent comme des champignons, peuplée de gens qui n'y connaissent rien et qui n'ont plus rien à perdre ? Et qui, par ailleurs, sont gratifiés d'une bourse colossale pour faire acte de présence ? J'ai eu quelques ennuis récemment qui ont fait perdre à ma boîte des sommes très conséquentes, je ne suis plus dans les bonnes grâces de personne et j'ai besoin d'un coup d'éclat comme celui-là. Les 100 000 dollars sont aussi un argument intéressant. Et si le projet de la ville fonctionne après mes propres rénovations, je suis certain de pouvoir placer ma propriété sur le marché à très bon prix également.


Ce ne sont pas des secrets extraordinaires mais qu'importe : J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps la première fois que j'ai vu des baleines. Je m'entraîne à faire de l'apnée dans ma baignoire depuis que je suis enfant et je continue de le faire par réflexe, je ne m'en rends même pas compte. Je possède le permis bateau. Je suis allé voir la Petite Sirène en avant-première et j'y suis retourné trois fois. Et puisqu'il me faudra mourir, j'aimerais que mes cendres reposent au fond de la mer sur un lit de coraux.
Dans un autre contexte, j'ai aussi une peur bleue des limaces et des escargots. Leur ventre bave, c'est répugnant !!


Je viens tâter le terrain, rencontrer les acteurs de ce projet, évaluer ses chances d'aboutir à quelque chose de viable. Pour être franc, je ne sais pas si j'y crois, je me demande si le succès de son lancement n'est pas le fruit d'une délusion collective. Quoi qu'il en soit, je compte y faire mon business, proposer des contrats proprement déséquilibrés et justifiés par l'absence totale de prévention de sinistre. Mon avenir à Garnet dépendra de la confiance que j'aurai ou non dans ce projet, ce que je ne saurais juger avant de me rendre sur place. Cependant je ne tiendrai pas longtemps sans un certain confort alors il me faudra bien aussi me prêter au jeu. Je ne suis pas formé pour la rénovation, mais quand on a les finances, on n'a pas besoin de se salir, pas vrai ?.... (One second before disaster)